Le contre sens, c’est de faire croire que la voie du progrès est celle du triomphe des égoïsmes nationaux et de la défense crispée d’identités prétendues de race, de culture ou de religion. Comme on l’a entendu le 1er mai à Nice, où, à l’initiative de Marine Le Pen, tout ce que l’Europe compte de nationalistes et de populistes s’est rassemblé, non pour parler d’avenir commun, mais pour donner le grand concert de l’intolérance et de l’exclusion. Un seul point d’accord, entre ceux-là qui ne veulent pas même que leur pays se rapproche de ses voisins : pas un immigré de plus, pas un réfugié de plus, pas un musulman de plus.
Fort heureusement, dans leur majorité, les opinions publiques des pays du continent ne se laissent pas emporter par le discours souverainiste qui voudrait que l’avenir soit dans le retour en arrière.
Le bon sens, c’est l’Europe.
Si oublieux qu’on soit de l’histoire, on sait que celle de l’Europe a été marquée des haines, des malheurs et des ruines d’innombrables conflits, que nul ne souhaite revoir. C’est parce que l’Europe est un espoir de paix qu’on veut la garder en Irlande ou la rejoindre dans les Balkans.
Pas grand monde ne doute que la protection de notre climat et la défense de notre nature sont d’immenses défis auxquels ne peut suffire une réponse seulement nationale. Qui peut sérieusement soutenir que dans un monde où s’affirment et s’affrontent les géants de l’économie que sont la Chine, l’Inde ou les Etats-Unis, il ne faudrait pas d’Europe pour leur tenir tête ? Comment ignorer les avantages de l’euro, quand il s’agit de protéger l’épargne des européens et de faciliter leurs échanges ?
L’évidence de l’Europe échappe aux anglais. Pour l’instant. Soit. Mais, entre océans et continent, leur histoire a toujours hésité. Et leur éloignement, peut-être passager, témoigne de leur singularité, et non d’un affaiblissement plus général de l’exigence européenne. Le brexit est plutôt un avertissement pour ceux dont la solidarité reste une nécessité, et sans doute une chance, pour eux, d’une avancée moins entravée vers une Europe plus sûre d’elle-même.
Mais l’Europe de demain doit aussi faire toute sa place au bon sens.
Celui, d’abord, qui sait constater les différences. Les nations qui font l’Europe ne sont pas toutes des Républiques, et ne sont pas toutes laïques. Leurs Etats sont parfois centralisés, et parfois fédéraux. Les identités régionales n’y sont pas partout de même intensité. Leurs traditions économiques et leurs histoires sociales et syndicales sont différentes. Les sentiments particuliers éprouvés à l’égard de puissants voisins, à l’est, dans les pays Baltes ou en Grèce, doivent être compris des pays qui, plus à l’ouest, se sentent davantage à l’abri. Les majorités d’idées qui sortent des urnes ne sont pas, partout et simultanément, les mêmes d’un bout à l’autre du continent.
Les emballements de la construction européenne jusqu’ici poursuivie, fondés sur l’approche économique du grand marché, n’ont pas suffisamment pris en compte ces différences. Comment, par exemple, n’a-t-on pas aperçu, à la Commission ou dans les Cours de justice de l’Union, que l’interprétation démesurée du principe de libre concurrence et des grandes libertés de circulation ne pouvait qu’engendrer le déséquilibre économique et la frustration sociale lorsque n’était pas assuré, en parallèle, le rapprochement des règles fiscales et des régimes de protection sociale ?
L’Europe, pour être aimée, doit respecter les nations qui la composent. Et c’est dans la claire et libre conscience de ce qui doit être mis en commun, et de ce qui doit être laissé à chacun, que doit s’édifier la nouvelle puissance politique des Nations Unies d’Europe.
Le bon sens désigne ce qui, sauf à ne plus vouloir compter dans le monde du XXI° siècle, doit être apporté à l’Union qui n’y est pas encore, ou pas suffisamment. La défense, qu’aucun des pays européens ne peut garantir à lui seul, alors que nul d’entre eux n’est assuré de pouvoir toujours compter sur des soutiens extérieurs. Les moyens d’agir, c’est-à -dire un budget commun plus important, autorisant la mise en œuvre d’une politique financière venant compléter la politique monétaire. Un gouvernement politique, surtout, puisqu’il ne peut plus seulement s’agir de réguler le marché lorsque doivent se prendre des décisions qui touchent à la défense ou à la direction de l’économie communes.
La liste serait longue de ce qui devrait être laissé à chacune des identités, façonnées par une histoire particulière, dont l’assemblage fait la grandeur de l’Europe. Qu’il soit du moins entendu que les conquêtes d’un modèle social, les qualités d’un service public, les savoirs d’une agriculture ou d’un artisanat, ne puissent être mis à bas par les exigences surévaluées de principes économiques que doit désormais tempérer une vision politique de l’union européenne.
La voie du bon sens, pour un nouvel élan européen, est ainsi celle qui, après six décennies d’une construction économique si savante qu’elle a fini par n’être plus comprise de personne, permettra d’entreprendre l’unification politique sans laquelle il ne saurait exister de véritable Europe.
Mais il ne peut être d’Europe politique sans ses citoyens. Les femmes et les hommes qui composent l’Union doivent être conscients de former ensemble l’une des grandes communautés de la planète. L’urgence est alors d’aviver ce sentiment d’appartenance, de forger l’unité par l’échange et la reconnaissance.
Osons un premier pas : puisqu’il est question de recréer, en France, le service national universel, portons-le à l’échelle de notre continent. En proposant à tous les Etats membres de l’Union qui le veulent bien, le service universel qui permettra à chaque jeune européen, s’il le souhaite, de consacrer quelques mois dans le pays voisin ou proche où il fera connaissance de ceux qui partagent un même destin. Erasmus a été un succès, pour les étudiants qui ont eu la chance de vivre ce beau programme d’échange des savoirs. Avec un ERASMUS UNIVERSEL, c’est l’ensemble de la jeunesse du continent qui saura ce qu’est l’Europe et pourquoi il faut en rêver.
Sylvia PINEL et Laurent HENART
Co-présidents du Mouvement Radical/Social-Libéral